Le clip officiel de la Coupe du monde diffusé en boucle dans tous les pays pendant les retransmissions des matchs met en scène un enfant noir, apparemment sorti d’une favela, s’émerveillant devant le spectacle de toutes ces personnes célébrant la grande fête du football dans son pays. Le clip donne une image idéalisée du Brésil et de sa population, en montrant des gens de toutes les origines faisant la fête ou tapant dans le ballon ensemble, mais il est aussi très réaliste à sa manière: on ne voit pas le jeune garçon rentrer dans le stade.
Depuis le début du tournoi, nombreux sont les journalistes à avoir remarqué l’absence frappante de Brésiliens noirs dans les stades du Mondial. Dans un article paru sur le site du Guardian, le journaliste né au Brésil Felipe Araujo écrit comment il joue à «Où est Charlie» à chaque match auquel il assiste pour trouver des noirs dans les stades, alors que plus de la moitié de la population se considère comme noire ou métisse selon le dernier recensement en 2010 et que le Brésil est le pays qui abrite le plus d’habitants d’origine africaine en dehors de l’Afrique au monde.
J’ai moi-même assisté à cinq matchs au stade Fonte Nova à Salvador, première capitale coloniale du pays où sont arrivés une bonne partie des millions d’esclaves et où l’héritage africain est très présent dans la culture. On estime que 80% des habitants de Salvador sont des descendants d’Africains.
Ce chiffre se vérifie plus ou moins, à vue d’œil, dans la rue ou lors des fêtes de la Saint-Jean où les locaux se rassemblent pour danser au son des rythmes traditionnels. Mais dès les abords du stade, les jours de match, les rues prennent un coup de blanc, à part en ce qui concerne les vendeurs de bières et de bouteilles d’eau à la sauvette venus des favelas avoisinantes, les policiers et le personnel de sécurité du stade.
Le sondage qui confirme les impressions
A Rio, j’ai vu la France affronter l’Allemagne vendredi 4 juillet au Maracana devant un public très majoritairement blanc, et pas seulement dans les parties où se massaient les quelques milliers de supporters européens qui avaient fait le déplacement. Quelques heures plus tard, le contraste était saisissant devant l’écran installé à quelques centaines de mètres du stade, où une foule beaucoup plus jeune et mélangée s’était retrouvée, bières à la main, pour regarder le Brésil affronter la Colombie.
Ces impressions ont été confirmées dimanche 29 juin par un sondage paru dans le journal Folha de S. Paulo. Les données récoltées auprès de 693 spectateurs au stade de Belo Horizonte pendant le match entre le Brésil et le Chili sont sans appel: 67% des Brésiliens interrogés étaient blancs, et 90% appartenaient aux classes supérieures brésiliennes.
Le manque de mixité dans les stades brésiliens s’explique de manière assez simple: les places sont chères, et les noirs du Brésil sont en majorité pauvres. Les prix officiels des places pour le match entre le Brésil et le Chili variaient entre 25 et 200 dollars, mais les places les moins chères ne représentaient que 5% du stade. Le salaire minimum dans le pays est de 330 dollars par mois.
Interrogé par le Globe and Mail canadien, Carlos Costa Ribeiro, un sociologue qui étudie les questions ethniques et les inégalités à l’université de Rio, explique:
«On ne peut pas parler de discrimination raciale, il faudrait pour cela que les tickets ne soient pas vendus aux noirs, ce qui n’est pas le cas. Ce qu’il se passe, c’est que la plupart des noirs sont pauvres et ne peuvent pas acheter un ticket parce qu’ils sont chers. Mais pourquoi les noirs ne sont-ils pas riches? Parce qu’il y a de la discrimination.»
Une équipe mélangée, mais…
En fait, les seuls représentants du Brésil multiculturel qui participent à la Coupe du monde sont sur le terrain. «On peut dire que le football arrive à faire sur le terrain la démocratie raciale que la société Brésilienne n’arrive pas à créer» écrivait récemment le musicien brésilien José Miguel Wisnik dans un texte présentant l’identité du football brésilien pour le New York Times.
Mais même su le terrain, les choses ne sont pas si simples. Si l’équipe brésilienne reflète le métissage du pays, son sélectionneur, et quasiment tout l’encadrement, sont blancs. Les images du défenseur brésilien Daniel Alves recevant une banane dans le championnat espagnol ont révolté une partie des Brésiliens, mais des scènes similaires ont lieu dans les championnats locaux.
Bloomberg évoquait en mai le cas de l’arbitre noir brésilien Marcio Chagas, habitué à être la cible de cris de singe dans les matchs de championnat, qui a retrouvé sa voiture vandalisée et son pare-brise recouvert de bananes après un match.
Comme le souligne le site The Root dans un excellent article, la complexité du rapport du Brésil à la diversité s’exprime dans le fait que beaucoup de Brésiliens noirs ne se considèrent pas comme tels. Quand un journaliste lui a demandé en 2010 s’il avait déjà été victime de racisme, la star brésilienne Neymar avait répondu:
«Jamais. Ni à l’intérieur, ni en dehors d’un stade. De toute façon, je ne suis pas noir, si?»